sábado, mayo 19, 2007

Le temps malléable


Avec Ton visage demain. Danse et rêve (tome II), l'écrivain espagnol Javier Marias livre ce qui aurait dû être la fin du roman -commencé avec un premier tome intitulé Fièvre et lance- et est devenu entre-temps le deuxième volume d'une trilogie dont il dit maintenant qu'il ne sait plus lui-même s'il n'y en aura pas un quatrième ou plus.

Un roman sans fin donc - ou, du moins, sans fin annoncée. Une fin d'ailleurs sans cesse retardée par l'écriture même du livre, comme s'il était devenu impossible à l'auteur de mettre la dernière main à ce qu'il considère comme son ultime roman.

L'action se déroule sur un temps assez court, un long week-end, riche en événements certes, mais ce ne sont pas les péripéties qui servent à repousser l'issue -fatale ?- du roman. C'est un travail sur le temps, un temps malléable, extensible, où le passé, le futur et le présent de narration sont les instruments d'une recherche sans fin.

Le début du premier volume se situait dans un futur proche, quelques années après la date de publication ; le passé, constamment présent, effectue d'innombrables sauts dans le temps et dans l'histoire, l'oubli et la mémoire ; le présent est distendu par d'infinies combinaisons de conditionnels, de subjonctifs et de tous ces possibles : "Si j'avais su, Encore aurait-il fallu qu'il sache, Comme si..."

Javier Marias est un maître de l'incise et de la digression destinées à couper perpétuellement l'histoire racontée en l'abordant depuis différents points de vue, en lui donnant différentes perspectives, en la retournant et en la commentant sans cesse. Pas seulement pour affiner une pensée, mais pour lui conférer un maximum d'ambiguïté.

L'histoire qu'il raconte est peuplée de personnages inoubliables, bourrée d'humour et de violence, de dérision et de drame, de peur et de grotesque. Elle forme la trame, la toile de fond d'une philosophie littéraire condamnée à s'interroger à perpétuité.

D'ailleurs, le premier volume se terminait sur un suspense, une voix de femme dans la nuit, sous la pluie, demandant à voir le narrateur d'urgence, un suspense qui prend fin de la façon la plus banale qui soit, envoyant bouler d'une pichenette les attentes du lecteur comme pour l'avertir que ce n'est pas cela qu'il fallait chercher.

Un immeuble sans nom

Ce narrateur est celui du Roman d'Oxford (Rivages, 1994), qu'on appelle Jacobo, Jaime, Jack ou encore par son nom de famille, Deza. Il est revenu en Angleterre, bien des années plus tard, à Londres cette fois, laissant à Madrid sa femme et ses enfants, et a été recruté par une étrange division des services secrets britanniques, qui a pour siège un "immeuble sans nom", où il exerce un métier tout aussi étrange. Il a le talent de voir dans le visage des gens celui qu'ils auront demain, autrement dit de quoi ils sont ou seront capables. Ce qui l'amène en quelque sorte à révéler mais aussi à trahir ou à dénoncer, tel un interprète non des mots mais des âmes et des comportements. Une idée qui est peut-être venue à Marias grâce à son Miramientos, ouvrage non traduit en français dans lequel, à partir de photographies d'écrivains hispanophones, l'auteur se livrait à des commentaires et à des interprétations, dans la même veine que les scènes biographiques de Vies écrites (Rivages, 1996).

Javier Marias avait déjà fait de ses personnages des traducteurs ou des interprètes -lui-même est traducteur- pour jouer avec le sens des mots ; il y revient ici en donnant à son héros, une fois encore, la possibilité et le risque de tromper et de se tromper. Les réflexions sur la langue, le bilinguisme, le fait d'utiliser au quotidien un langage qui n'est pas le sien abondent, d'autant qu'il constelle son texte de français, d'anglais, d'italien...

Membre de l'Académie royale espagnole depuis 2006, auteur exigeant avec lui-même et avec ses lecteurs, Javier Marias a vendu plusieurs millions d'exemplaires de ses livres à travers une quarantaine de pays. S'il a collectionné les prix littéraires, obtenu des critiques dithyrambiques, y compris en son pays, où on lui a longtemps reproché son style ou ses inspirations, c'est sans doute parce qu'il écrit une des rares oeuvres qui restera de notre époque. Une oeuvre considérable et unique.

MARTINE SILBER

Le monde des livres,
18 de mayo de 2007


Javier Marías: El tiempo maleable

Con Tu rostro mañana. Baile y sueño (Tomo II), el novelista español Javier Marías entrega lo que hubiera debido ser el final de la novela -empezada con un primer tomo titulado Fiebre y lanza- y que se ha convertido mientras tanto en el segundo volumen de una trilogía de la cual él mismo dice no saber ahora si habrá un cuarto tomo o más.

Un a novela sin final entonces, o al menos, sin final anunciado. Un final que está siempre retrasado por la escritura misma del libro, como si le estuviera siendo imposible al autor terminar lo que considera su última novela.

La acción se desarrolla en un tiempo bastante corto, un largo fin de semana, lleno de acontecimientos, cierto, pero no son las peripecias que atrasan el final-¿fatídico?- de la novela. Es un trabajo sobre el tiempo, un tiempo maleable, extensible, donde el pasado, el futuro y el presente de narración son los instrumentos de una búsqueda sin fin.

El principio del primer volumen se situaba en un futuro cercano, unos años después de la fecha de publicación: el pasado constantemente presente, efectúa multitudes de saltos en el tiempo y en la historia, el olvido y la memoria; el presente está distendido por combinaciones infinitas de condicional, de subjuntivo y de todos estos posibles: “Si hubiera sabido, hubiera debido saber, como si…”

Javier Marías es un maestro del inciso y de la digresión destinados a cortar constantemente la historia contada abordándola desde diferentes puntos de vista y diferentes perspectivas, dándole vueltas y comentándola siempre. No sólo para afinar un pensamiento, sino también para conferirle el máximo de ambigüedad.

La historia que cuenta está poblada de personajes inolvidables, llena de humor y de violencia, de irrisión y de drama, de miedo y de grotesco. Forma la trama, la red de fondo de una filosofía literaria condenada a preguntarse a perpetuidad.

De hecho, el primer volumen se acababa con un suspense, una voz de mujer en la noche, bajo la lluvia, pidiendo urgentemente ver al narrador, un suspense que termina de una manera muy banal, mandando a paseo las expectativas del lector como si estuviera advirtiéndole que lo que debía buscar no era eso.

Un edificio sin nombre

El narrador es el de Le roman d’Oxford (Rivages, 1994)(Todas las almas) que llaman Jacobo, Jaime. Jack, o también por su apellido, Deza. Ha vuelto a Inglaterra, muchos años más tarde, a Londres esta vez, dejando a su mujer y a sus niños en Madrid, y ha sido contratado por una rara división de servicios secretos británicos, que tiene sede en un “edificio sin nombre”, donde ejerce un trabajo igual de raro. Tiene el talento de ver en los rostros de la gente, el que tendrán mañana, dicho de otra forma, de lo que están o serán capaces. Lo que lo lleva de alguna manera a desvelar, pero también a traicionar o a delatar, como un intérprete, no de palabras sino de almas y de comportamientos.Una idea que ha tenido Marías quizá por Miramientos, su obra no traducida al francés, en la que, a partir de fotografías de escritores hispanófonos, el autor hacía comentarios e interpretaciones, en el mismo estilo de las escenas biográficas de Vies Écrites (Rivages, 1996) (Vidas escritas).

Javier Marías ya había hecho de sus personajes, traductores o intérpretes –siendo él mismo traductor- para jugar con el sentido de las palabras; vuelve aquí dando a su protagonista, una vez más la posibilidad y el riesgo de engañar y de engañarse. Las reflexiones sobre la lengua, el bilingüismo, el hecho de utilizar a diario un lenguaje que no es suyo, abundan, más aún que su texto está salpicado de francés, inglés, italiano…

Miembro de la Real Academia de la Lengua Española desde 2006, autor exigente consigo mismo y con sus lectores, Javier Marías ha vendido unos millones de ejemplares de sus libros en unos cuarenta países. Si ha coleccionado premios literarios, y obtenido críticas ditirámbicas, incluso en su propio país, donde le reprocharon durante largo tiempo su estilo y sus inspiraciones, es sin duda porque escribe una de las pocas obras que perdurará de nuestra época. Una obra considerable y única.

Traducción de NADA ZIADEH